contrepointPositionnementGrains de riz, échiquier et croissance exponentielle

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Les progrès des technologies numériques sont rapides, l’amélioration de performance est parfois exponentielle. Cependant, autour de  nous la réalité est plutôt stable. Quels mouvements stratégiques réaliser et sortir de cette apparente contradiction ?

L’empereur, l’échiquier et les grains de riz

Certains historiens ont trouvé les premières traces du jeu d’échec en Inde, au royaume de Gupta au 6ème siècle. Selon la légende, l’empereur offrit la récompense de son choix à l’inventeur du jeu qui venait de le lui présenter. L’humble inventeur demanda seulement du riz pour nourrir sa famille: “placez un grain de riz sur la première case de l’échiquier, deux sur la deuxième, quatre sur la quatrième et ainsi de suite de sorte que chaque case reçoive le double de grains que la précédente.”

Impressionné par tant de modestie, l’empereur accepta, avant de se rétracter et de faire exécuter l’inventeur. En effet, s’il avait tenu son engagement il aurait dû fournir un volume de riz bien supérieur au riz disponible en Inde à cette époque.

Comment est-ce possible en partant d’un grain de riz posé sur un échiquier ? C’est la force des lois géométriques, elles croissent de façon exponentielle dans des proportions que nous avons parfois du mal à envisager. Dans cet exemple, 2 grains de riz sont disposés sur la deuxième case, 4 sur la troisième, … 512 sur la 10ème, 524 288 sur la 20ème, plus de 2 millions sur la 32ème et c’est dans la deuxième partie de l’échiquier que le compteur s’emballe, plus de 1 000 milliards à la 41ème case …

La croissance exponentielle des technologies numériques

Cette anecdote est utilisée par plusieurs chercheurs ou analystes (Eric Brynjolfsson ou Ray Kurzweil par exemple) pour illustrer la rapidité de développement de certaines technologies numériques. Au milieu des années 1960, Gordon Moore, alors ingénieur chez Intel observe que la capacité de calcul d’un circuit intégré avait doublé tous les ans au cours de l’histoire récente de cette industrie. Il formule alors une hypothèse : cette croissance va se poursuivre au même rythme dans les décennies qui vont suivre. Les faits lui ont donné raison (cette croissance a été constatée jusqu’au milieu des années 2010) et ce qu’il avait formulé comme une hypothèse a été propulsé au rang de loi, la loi de Moore, selon laquelle les puissances de calcul doublent tous les ans. Exactement au même rythme que les grains de riz de notre histoire précédente.

By Wgsimon – Own work, CC BY-SA 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=15193542

Bien sûr l’observation de Moore n’a rien d’une loi naturelle : c’est parce que des industriels ont investi massivement en recherche et développement et qu’ils ont convaincu des clients et des gouvernements pour s’engager dans cette voie qu’on a pu observer la croissance de la puissance de calcul à ce rythme. Les promesses autour de l’informatique quantique laissent augurer des progrès encore plus importants sur le plan de la puissance de calcul.

La stabilité de la productivité globale

La rapidité des progrès des technologies numériques est réelle (puissance de calcul, capacité de stockage, coût, …). Elle est à la base de nombreuses évolutions tout aussi spectaculaires en termes économique ou entrepreneurial. Ces progrès rendent possible la miniaturisation des capteurs qui est à la base de l’adoption massive des smartphones qui est une condition essentielle du passage à l’échelle d’Uber. Cependant, tous ces progrès n’améliorent en rien le temps de trajet sur un périphérique bouché un vendredi soir. C’est un des paradoxes des progrès numériques, ils affectent relativement peu la productivité globale. Ce paradoxe a été synthétisée par l’économiste Robert Solow : “l’âge de l’informatique est partout, sauf dans les statistiques de la productivité.” Cela signifie que la productivité, elle, ne suit pas une croissance exponentielle, que de nombreuses activités se développent, mais à une vitesse bien plus faible. Cela ne réduit pas la force de la croissance exponentielle mais renforce l’idée qu’elle s’applique à des périmètres réduits.

Quelles options quand la croissance est exponentielle ?

Je vous propose à présent trois questions pour nourrir vos stratégies distinctives:

  • quels éléments croissent de façon exponentielle autour de moi ? Nous parlons bien ici de valeur relative (la multiplication par 2 par pas de temps) et pas de valeur absolue (le nombre de grains de riz). Souvent les croissances exponentielles ont des valeurs absolues faibles au début, c’est ce qui les rend difficile à identifier ou peu crédibles. Il peut s’agir de comportements de clients (Jeff Bezos disait dans les premières années d’Amazon que c’est après avoir constaté le rythme de croissance exponentiel de l’usage d’internet qu’il avait décidé de s’y consacrer, à cette époque le nombre d’utilisateurs était relativement faible). Il peut s’agir de développement de concurrents (pensez à la fameuse courbe de croissance des startup numériques en crosse de hockey).
  • quelles options construire pour saisir l’opportunité si elle se confirme ? La difficulté réside dans le fait que certaines croissances exponentielles se tassent ou s’inversent. La logique d’option est productive pour faire face à cette incertitude. Réaliser un partenariat avec un acteur émergent avant qu’il ne soit trop gros pour comprendre, voire rentrer au capital pour prendre une position (pour peu qu’il soit d’accord) peut s’avérer une bonne stratégie pour déterminer si et comment cette tendance renforce, complète ou menace le modèle de référence.
  • comment réduire une croissance exponentielle menaçante ? Une option plus défensive consiste à mener des actions pour ralentir ou inverser la courbe de croissance. Ces actions permettent le plus souvent de gagner du temps car les tendances profondes ont une inertie plus forte que l’énergie d’une seule entreprise. Il y a quelques années, une entreprise gestionnaire de parkings constatant l’émergence de plateformes d’intermédiations avait lancé une plateforme concurrente qui mettait à disposition 60% de l’offre de parkings sur son territoire. Cette entreprise ne consacrait pas beaucoup d’énergie au développement de la plateforme et donc les résultats étaient faibles. Cependant, c’était une façon de rendre les efforts de ses concurrents vains (comment lutter contre celui qui a 60% de l’offre) et de décrédibiliser l’offre elle-même (si les gros acteurs du marché n’y arrivent pas c’est que l’opportunité n’est pas avérée).

Photo by Pierre Bamin on Unsplash

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